To Madame Lafreté
Printed by Benjamin Franklin, Passy: Yale University Library
[1781?]
M. F. a Madame la Fr—é.

Ma Foi, vous avez bien fait, Madame, de ne pas venir si loin, dans une Saison si rude, chercher un si triste Déjeuner. Mon Fils & moi nous n'avons pas été si sages. Je vais vous en donner l'His-toire.

Comme l'Invitation étoit pour onze Heures, & que vous étiez de la Partie, je m'imaginois trouver un Déjeuner dînatoire; qu'il y auroit beaucoup de Monde; que nous aurions non-seulement du Thé, mais du Caffé, du Chocolat, peut-être un Jambon, & plusieurs autres bonnes Choses. Je pris la Resolution d'y aller à Pied; mes Souliers étoient un peu trop étroits; j'arrivai presque estropié. En entrant dans la Cour, je fus un peu surpris de la trouver si vuide de Voitures, & de voir que nous étions les premiers venus. Nous montons l'Escalier. Point de Bruit. Nous entrons dans la Salle du Déjeuner. Personne que M. l'Abbé & M. C****.— Le Déjeuner fini, & mangé! —Rien sur la Table que quelques Restes de Pain, & un peu de Beurre. On crie; on court dire à Madame H***** que nous étions venus déjeuner. Elle quitte sa Toilette, elle vient demi-coeffée. On est surpris que je sois venu, quand vous m'avez écrit que vous ne viendrez pas. Je nie le Fait. Pour le prouver, on me produit votre Lettre qu'ils ont reçue & gardée.

Enfin un nouveau Déjeuner est ordonné. L'un court pour de l'Eau fraîche, un autre pour des Charbons. On souffle vigou-reusement. J'avois grand Faim; il étoit si tard; une Marmite re-gardée est bien long-temps à bouillir, comme dit le bon Homme Richard. Madame part pour Paris & nous quitte. Nous com-mençons à manger. Le Beurre est bientôt fini. M. l'Abbé demande si nous en voulons encore? Oui, assurement. Il sonne. Personne ne vient. Nous causons; il oublie le Beurre. Je grattois l'Assiette; alors il la saisit, & court à la Cuisine en chercher. Après quelque Temps il revient lentement, disant tristement, il n'y en a plus dans la Maison. Pour m'amuser, M. l'Abbé me propose une Promenade; mes pieds s'y refusent. En Conséquence nous laissons-là le Déjeuner; & nous montons chez lui pour trouver de quoi finir notre Repas avec ses bons Livres—.

Moi, tout désolé, ayant reçu seulement au lieu d'une demi-Douzaine de vos doux Baisers, affectionnés & substantiels, & fortement imprimés, que j'attendois de votre Charité, l'Ombre d'un seul, donné par Madame H*****, avec bonne grace, il est vrai, mais le plus léger & superficiel qu'on puisse imaginer.

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