Blanchette Caillot to William Temple Franklin (unpublished)
St G… No. 17 ce 5 mars 1786 [1787]

Je ne puis vous éxprimer mon cher f a quel point j’ai été fâchée de n’avoir pu vous écrire à la derniere occasion, mais la lettre du bon voisin qui m’avertissoit de me prêsser de faire mes dépêches pour vous est arrivée, lorsque j’etois à Versaille, ou j’ai passé trois semaines, à mon retour ici on me la remit, il n’ètoît plus tems, avant, pendant, et après mon séjour à Versaille je n’ai pu avoir que ce moment de libre, vous pensez bien que je vais répondre à votre lettre dattée du 3 decbre., ainsi qu’a une petite soeur renfermée sous la même envelope et que par conséquent ce moment me devient précieux.

Commensons par le plus triste article et je tacherai de n’y plus revenir si la chôse m’est possible: toutes les fois mon bon ami que vous avez voulu trouver à redire à quelque unes de mes actions vous avez presque toujours, ou plutot, toujours eu tort, comment cette pensé ne vous est elle pas venue? Lorsqu’en m’ecrivant vous avez eu la durté de me reprocher la mort de mon enfant. Bon dieu! prenez vous donc ces manieres farouches? qui nuisent si fort au charme de la société, et qui font que dans un cercle on n’ouvre la bouche que pour y méttre du pain et du beurre, non, non mon cher f ... restez françois, cela vous siéd si bien! Restéz le compatriote de votre tendre amie, sa vertu n’est pas si farouche que la votre, elle en a pourtant (la suite de cette lettre vous la prouvera) mais de cette vertu douce et humaine, qui fait que nous pardonnons nos amis, même quand par leurs actions ou leurs discours ils nous enfoncent un poignard dans le coeur. Mon fils l’ettoit encore lorsque j’ai eu le malheur de le perdre, il n’a pas manqué de soins, quand ce ne seroît que cause de sa nourrice qui le pleure encore tous les jours et qui l’adorait. La bonne étoît aupres de ma fille, malade des fievres qu’elle prit elle même peu de jours après. C’est à quoi vous ne vous êtes pas donné la peine de penser, du moins je le crois à votre lettre. Ici se términe tout ce que j’ai à vous dire sur ce triste article. Je ne vous fais pas de reproches, persuadée qu’ils seroient au dessous de ceux, que dans ce moment vous vous faites à vous même.

Vous avez fort bien fait mon cher de vous débarrasser du mari prodigue et de la femme accariatre l’un et l’autre font le malheur d’une maîson. Oh! mon ami! une femme accariatre! le ciél vous garantisse d’un pareil fléau, cela me méne à votre mariage, car vous m’en parlé dans presque toutes vos lettres. Votre pere veut vous marier, et j’ai vu avec surprise qu’il méttoit même de la force à cette volonté, ma vénération pour lui est si grande, que je la respecte cétte volonté je ne dois pas me permettre de la combattre, puisqu’il le veut, je dois croire que le mariage est néccésaire à votre bonheur, alors je ne trouve plus rien à dire contre. Mariez vous donc mon cher et trop aimable ami, mariez vous j’aurai le courrage de suporter l’idée d’une union qui détruira la nôtre, j’en aurai le courrage si je puis penser que vous en serez plus heureux. Vous garderez de moi un souvenir bien cher j’en suis persuadée, je n’ai jamais soupsonné votre coeur d’ingratitude. Peut-être que suivant les manieres américaines je pourrois me permettre des reproches améres c’est ce que vous ne devez pas craindre de ma part. Je vous affligerois, et alors je m’affligerois moi même. Des enchaînemens de circonstance nous menent souvent à un but, dont fort peu de tems avant nous nous croyons bien éloigné. Quand vous partites vous me jurates de revenir avant une année je vous en donnoi deux. Vous ne reviendrez pas, vous vous mariréz. Eh bien! mon ami malgré cela je ne vous reprocherai pas de m’avoir trompée, je serai juste, je dirai, mon ami mon bon ami s’est trompé lui même. Mais mon cher f si vous vous mariez renoncez à la france renoncez y pour toujours ce qui charme un garçon aimable, fait pour plaire et pour être aimé est éffrayant pour un pere de famille. Songez à l’énorme dépense des femmes, et des femmes anglaise à paris. Songez à celle qu’y a fait, certainement la plus aimable, et la plus modeste, c’est de Madame joy dont je veux parler. Tenez mon ami je crois comme votre ayeul qu’on doit se marier quand il faut passer sa vie entiere dans une sévère république mais qu’il faut rester garçon quand on veut revenir vivre en france. Voila mon cher f…ma façon de penser celle de sentir est bien différente. Mais elle est trop relative à moi et trop pérsonnélle pour que je vous en parle.

J’ai reçue depuis peu une lettre de Md de Mal…elle me mande que son pere est mieux, qu’il est à Nice, et qu’il se trouve fort bien de son voyage. Elle me marque aussi qu’elle a vu un de vos compatriotes, qui lui à donné de vos nouvelles et de celle de votre papa. Elle ne me donne pas de détailles et malheureusement je n’ai pu l’aller voir comme j’en avois le projet pendant mon séjour a Versaille ou je n’ai point joué la comdie comme c’etoit l’intention de la société, et la mienne. Le mari de Md. Campan ètoît bien malade en italie cela n’eut pas été décent au surplus je me suis fort amusée tout le tems de mon voyage, la société de Md Campan, est gaie et spirituélle. Cette dame m’aime de tout son coeur et je la paye du plus tendre retour. Je crois que son pere ètoît ami intime du votre. C’est un lien et une raison de plus pour l’aimer davantage.

Mor. Dai…va baucoup mieux sa filleule m’a mandé qu’il ètoit hors d’affaire. Je comptois aller passer quelques jours avec elle mais la maladie du parin à détruit ce projet. A présent le printems est trop pres je ne me dérangerai plus que pour aller à la campagne.

Je n’ai pas vue Md la B…depuis long tems je n’ai pas voulu lui écrire par la poste pour la commission que vous m’avez donnée relativement à son portrait. La bonne va dans peu à paris (helas! elle n’a plus que faire au palais royal!) Elle lui portera ma lettre dans la quelle je lui demanderai une belle épreuve de son portrait, pour vous l’envoyer mais ce sera moi s’il vous plait qui vous le donnerai. J’espere que vous voudrez bien l’accepter de ma main tout aussi bien que de la sienne quitte à dire la bas que c’est d’elle qui vous l’avez reçue. Cela m’arrange d’autant mieux que je l’aime de tout mon coeur mais que je ne veux rien lui demander. Je le ferai remettre à votre adresse chez Mor Gr…je voudrois bien pouvoir joindre dans la boitte ce que j’ai à vous. Je ne crois pas la chôse possible on ne permèt pas la transportation des louis. Les petits billets de banque n’ont point de valeur chez vous. D’un autre coté je ne voudrois pas pour tout au monde que notre obligeant voisin sut que j’ai de l’argent à vous. Que pouroit il penser? Bien surment pas les chôses comme elles sont. L’idée de passer dans son ésprit pour avoir emprunté de l’argent à un jeune homme (car voila ce qu’il soupçonneroit) m’est insuportable j’attendrai et chercherai une occasion qui ne me compromettra pas. Vos 531 l.t. sont la dans un saq. J’espere que vous n’avez pas eu besoin d’argent si je le croyois je serois bien tourmentée soyez persuader que je ne négligerai rien pour vous le faire parvenir c’est la seule chôse venant de vous qui me fasse de la peine à voir adieu mon bien bon ami voila une lettre bien sérieuse, en la lisant pensez que mon pauvre coeur est toujours le même, que vous lui êtes plus chere que jamais, pensez un petit moment, si j’ai du courrage et si je sais me soumettre aux événnemens; puis proffitez et ne grondez plus jamais—Rien de changé dans mon sort toujours le même calme la meme société la même maniere de vivre. On me croit la plus heureuse des femmes. Cela devroit être si je ne vous avois jamais connu. Oh bien j’aime donc mieux n’etre pas la plus heureuse des femmes—

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