From Jean-Baptiste-Jacques Elie de Beaumont (unpublished)
A Paris ce 2. fevrier 1784.
Son Excellance,

Jai plaisir à vous faire part du Dispositif de l’arrêt de la Cour qui vient de prononcer sur le sort du Sr. Schaffer. Jeudy dernier vers les huit heures du matin déchargé d’accusation, il est sorti de la Conciergérie par le grand Escalier avéc tous les honneurs de la guerre.

Ce Jugement que j’attendois avéc Confiance détruira sans doute dans vos opinions cette fatale prévantion qui vous faisoit regarder le Sr. Schaffer avéc une sorte de Dédain. Soiés cependant bien intimement persuadé que jamais il n’a cessé d’etre digne de sa Naissance, de sa patrie et de la Considération de ses Compatriotes.

Si des apparences malheureuses ont pû porter quelques atteintes aux opinions sur son compte, L’arrêt qui vient d’etre rendû en faveur de son innocence retablit en entier et son honneur et sa Reputation.

D’aprés ces événemens dont le témoignage ne peut vous être suspect, vous lui renderés sans doute votre Estime et votre amitié. Vous les lui renderés avec d’autant plus de Raison quil a eté reellement plus exposé aux Rigueurs d’une justice abusée par la prétenduë déclaration q’un des témoins a osé imputer à Mr. Votre Petit fils.

Cette Déclaration seule avoit fait le plus puissant motif de la sentence rigoureuse du Chatelet, mais la Cour n’y a point eû d’egards; elle a vû dans ce jugement inique une sévérité sans exemple et des présomptions pour des délits elle s’est donc empressée de Détruire un monument si étrange d’une justice préocupée et mal instruite.

Comme simple particulier vous pouvés avoir des motifs de recrimination contre le Sr. Schaffer et sa conduite; mais comme homme Revetû d’un caractère public, vous etes le protecteur naturel d’un américain opprimé, et dans le moment de son triomphe, il se persuade volontiers qu’il peut avéc toute assurance se fier sur les Sentiments du Plenipotentiaire des Etats Unis.

Tandis qu’il gémissoit dans les fers, il a souvent importuné Vôtre Excéllance pour subvenir à sa nouriture; aujourdhuy qu’il est libre, ce ne sont plus des aliments qu’il reclame. C’est la réhabilitation de son honneur outragé, ce sont quelques secours pécuniaires pour lever une Expédition de L’arrêt qui le lâve, et la faire afficher.Comme son triomphe doit intérésser la nation américaine, il espére que chacun des membres qui se trouvent maintenant à Paris voudront bien contribuer à une cottisation qui lui procure les fonds nécéssaires aux Besoins du moment.

Le célèbre Mr. Paul Jones a déja promis sa quotte part. Cet exemple généreux sera sans doute imité par ses honorables Compatriotes.

Quant à moy, Son Excellance, vous scavés avéc quel zêle, et qu’elle exactitude je me suis souvent transporté auprès de vous, pour y deffendre la Cause du Sr. Schaffer; vous ne pourrés dans tous les cas jamais présumer que j’agissois par le vil motif d’un interêt mercenaire, puisque le prisonnier a toujours eté sans argent et qu’il n’a touché que le peu que vous avés eû la Bonté de lui envoier pour subsister.

Mais je dois vous avouer avéc franchise que lors de ma derniere visitte à Passy, mon amour propre s’est trouvé un peu humilié, non pas que votre Excéllance m’ait mal recû mais en ce que jai présumé d’aprés votre Déclaration positive que vous n’aviés absolument aucune sorte de Confiance dans les protestations que je vous faisois sur le Bon droit du Prisonnier.

Cependant j’etois si intimement convincû de la Bonté (?) de sa Cause que je ne me suis point rebuté malgré votre refus formel de tous secours quelconques. Ma Constance a été couronnée par un succés complet; mais ce succes ne remplit encore qu’une partie de mes desirs puisqu’il me reste un voeu à former dans ce moment: le voeu est votre estime pour Schaffer; s’il faut l’en croire il n’est rien au monde qu’il n’entreprenne pour la mériter. Je le confirme de plus en plus dans ces heureuses dispositions et puis vous assurer qu’il [n’attend?] que l’arrangement définitif de ses affaires à Paris pour quitter la france.

Pour peu qu’il recoive dans ce moment quelques Epaulements de la part de ses honorables compatriotes; sous vos auspices il sera bientôt en Etat de regagner sa Patrie.

Levénement passé est une importante leçon pour l’avenir; rendu dans le sein de sa famille, il acquittera toutes ses dettes et méritera de nouveau d’avoir des protecteurs et des amis.

Je suis avéc Respect de son Excellance Le très humble et très obeissant serviteur

De Beaumont Avocat

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