From Beroard Rochette (unpublished)
Grenoble en dauphiné le 3. mai 1778.
Monsieur,

J’eus l’honneur, il y a environ trois mois, de vous adresser une Lettre par la voye de M. le Maréchal de tonnerre, qui a eu la bonté de vous la faire parvenir, selon ce que je pense: comme je crains qu’elle ne vous a pas été remise, excusez, Monsieur, la liberté que je prends de vous en écrire une seconde, quoique ce soit dans des moments qui vous sont très-précieux, vu l’occurrence présente, en voici le Motif.

Un homme aussi bien né que vous, Monsieur, ne peut que se prêter avec plaisir à rendre service: c’est aussi avec la plus grande confiance que je prends la liberté d’en réclamer un essentiel, et qui dépend uniquement de votre bonté. Le juste crédit dont vous jouissez généralement, et que l’Amérique se felicite de reconnoître, m’a fait jeter mes vues pour un établissement dans ce nouveau Monde; Si vous voulez l’employer à mon égard, ce crédit, vous faites un heureux, et sa reconnoissance ne connoîtra point de bornes. Depuis 20 ans je travaille de l’imprimerie; né d’une honnête famille, je souffre avec impatience, que, par les loix de l’Etat, je sois condamné à être toujours en sous-ordre; le nombre des imprimeurs est borné, dans la province de Dauphiné, à six; chacun d’eux a des enfants pour les remplacer; et dans les autres provinces c’est aussi borné à proportion de l’étendue: je ne puis donc que gémir éternellement dans une servitude insuportable et plus onéreuse à mon Coeur. Mais quelle espérance ne me fait pas concevoir cette liberté que va recouvrer sous vos auspices l’Amérique; il me semble que j’y trouve déjà une nouvelle existence; que vous m’y appellez pour exercer en chef cette profession pour laquelle, quoique ce soit une témérité de ma part, je crois avoir quelques talents: Paris n’est pas le seul endroit ou soient renfermés les talents, il y en a dans toutes les parties du monde. La place que je vous demande, Monsieur, c’est de me donner une imprimerie à gérer, au nom et aux dépens de la Colonie; c’est comme celle du Louvre, dans laquelle il y a un directeur aux dépens de l’état, lequel est à appointements. Pourriez-vous, Monsieur, ne pas répondre à cet empressement qui m’anime; j’ose le dire, votre choix ne vous causera point de repentir, et mon bonheur sera le gage de cette bienfaisance qui fit toujours votre principal caractere. Si cela n’a pas lieu, je vous prie de m’accorder quelqu’autre place, vous pouvez vous fier à moi, car je ne suis point un débauché; outre ce, j’ai 36 ans environ; de plus, j’ai été dans l’amérique Méridionale, conséquemment je connois la mer. Je suis actuellement prote, qui veut dire directeur d’imprimerie. Monsieur, je suis si malheureux en france, que je puis dire hardiment avec Crébillon:

La nature marâtre en ces affreux climats,

n’y produit, au lieu d’or, que du fer, des soldats

rhadamiste et Zénobie.

Les places sont plutot pour des étrangers que pour des gens du pays.

Monsieur, si vous voulez m’honorer d’une réponse, je vous prie de l’adresser à M. Alloard à grenoble en dauphiné, Secretaire de M. le Comte de tonnerre, commandant de la province de dauphiné, et de l’envoyer chez M. le Maréchal de tonnerre à paris, qui la fera parvenir.

C’est en attendant tout de vous que je suis, Monsieur, Votre très-humble et très-obéissant serviteur

Beroard Rochette

Endorsed: Beroard Rochette Printer Grenoble le 3 may 1778
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